Cela faisait un bon moment que je souhaitais voir ce ballet. Depuis que j'ai visionné
Soir de Fête avec la merveilleuse Karin Averty et l'excellent José Martinez. Tout m'a plu tout de suite dans ce ballet. La musique, la chorégraphie et j'ai voulu en savoir plus sur cette
Source, crée à l'Opéra en 1866 et disparue mais dont une partie de la partition avait inspiré ce petit chef d'oeuvre.
Jean-Guillaume Bart a réalisé mon souhait en beauté!
C'est en 1997 qu'il commence à parler de ce projet avec la direction de l'Opéra de Paris. Projet qui sera mûri et réfléchi tout au long de ces années. A l'aide de la partition "à quatre mains" de Delibes et Minkus et de l'argument de Nuitter il va recréer ce ballet oublié entouré de Clément Hervieu Leger pour la réecriture du livret. Ainsi, certaines scènes et certains personnages vont disparaître de cette nouvelle production afin d'en alléger l'histoire.
Bon, il faut bien le dire, l'argument est mince. Voire maigre.
Nourreda, accompagnée de son frère et de caucasien-ne s s'en va vers le Palais du Khan auquel elle vient d'être fiancée. En chemin, le cortège s'arrête près d'une source. Nourreda voit une fleur sur un précipice et souhaite la posséder mais aucun des hommes du cortège ne veut y aller: c'est trop dangereux (bien sûr, elle ne peut pas aller se cueillir sa fleur toute seule. A quoi serviraient les hommes sinon? ) Ironie mise à part, arrive Djemil qui cueille la fleur et tombe amoureux de Nourreda (en moins de 30 secondes). Quel sacrilège! Il est roué de coups par le frère de Nourreda et les caucasiens et abandonné près de la source.
C'est alors que surgit Naïla, l'esprit de la source. Elle tombe amoureuse de Djémil et lui remet la fleur que souhaitait Nourreda. Il s'agit d'un talisman qui exaucera ses voeux. Le voeu de Djemil est de revoir Nourreda et d'être vengé des coups qu'il a reçu. Escorté par Zaël, l'elfe de Naïla, il part en dircetion du Palais du Khan.
Chez le Khan, rien ne se passe comme prévu pour Nourreda. La favorite du Khan ne peut pas la voir en peinture et lui chipe même la fleur que les elfes de la source ont fait réaparaître. Imaginez qu'on vous fasse pareil, qu'on vous chipe une fleur et que la voleuse parade en faisant des "nananère j'ai ta fleur!" devant tout le monde! sans compter l'apparition quasi magique de Naïla dans le Palais. Sa beauté ébloui le Khan qui ne voit plus qu'elle. Nourreda peut aller se rhabiller. Littéralement. Dépitée, humiliée, Nourreda commence à comprendre qu'elle n'est qu'une transaction conclue entre son frère et le Khan tandis que Djemil, lui, est peut-être vraiment amoureux d'elle. Ils seront réunis mais leur union aura un prix: la vie de Naïla. Celle-ci se sacrifie comprenant que Djemil restera fidèle à Nourreda.
Le livret d'origine de 1866 était bien plus tarabiscoté. Pour celles et ceux qui seraient intéressé-e-s c'est sur
Dansomanie.
L'histoire qui nous ai contée aujourd'hui est donc simplifiée. Et si la trame originelle est préservée, elle n'en est pas moins contemporaine de l'aveu même du chorégraphe. Au-delà de la féerie de la chorégraphie et des costumes, cette
Source se veut aussi porteuse d'un message.
"Hier déjà, et aujourd`hui plus que jamais, on massacre la nature pour des profits matériels, sans égards pour elle. De même restent actuels ces rapports de domination des hommes sur les femmes, ainsi que la question de la liberté étroite de l'individu au sein du groupe. Je voulais reprendre ces thèmes en les situant dans une histoire qui résonne dans le monde contemporain."
Que nous réserve donc cette nouvelle production? Et bien déjà une très belle chorégraphie ce qui, pour un ballet, est somme toute primordial. Je m'attendais de toute façon à une chorégraphie réussie. Jean-Guillaume Bart n'en ai pas à son coup d'essai en tant que chorégraphe. Il a déjà fait ses preuves et le merveilleux danseur qu'il a été sur scène ne pouvait que signer une nouvelle réussite. Et c'est un régal du début à la fin. Jean-Guillaume Bart a concocté variations, pas de deux, danses de groupe, pas de quatre, etc. dans le plus pur style de l'Ecole française, perpétuant ainsi ce style si typique.
Pour Naïla et les nymphes, il a imaginé une danse fluide, légère avec des mouvements de bras ondoyants. Pour les elfes, dont Zaël qui revêt des allures de Puck du Songe d'une Nuit d'Eté, la chorégraphie est plus bondissante, dynamique.
Les danses des caucasiens sont très réussies. Danses quasi guerrières pour les hommes et danses douces pour les femmes. On sent l'influence des folklores russes et caucasiens.
J'ai noté quelques clins d'oeil à la chorégraphie de Léo Staats de
Soir de Fête et quelques allusions, me semble-t-il à
Gisèle, notamment l'entrée des nymphes où ces dernières arrêtent Djemil comme les wilis arrêtent Hilarion. La différence c'est qu'ici ces êtres surnaturels ne sont pas une menace, au contraire. La preuve ultime est le sacrifice final de Naïla pour le bonheur des humains Nourreda et Djemil.
Les costumes sont dignes d'un conte de fée. Les robes des nymphes, les costumes des odalisques, des caucasiens, des elfes sont sublimes et brillent de mille feux. Ils sont signés Christian Lacroix, ceci expliquant sans doute cela.
Je n'ai en revanche pas du tout aimé les décors. Des cordes, des cordes et encore des...cordes avec en plus des morceaux de tissus en velours rouge rappelant un ridau de théâtre pour le 1er acte. La scène finale est carrément sans décor. Tout est noir. J'ai fini par trouver ça glauque.
Je conçois et comprends la volonté de créer une ambiance feutrée, en semi obscurité, c'est un style qui se défend mais de mon point de vue cela aurait pu être fait de manière moins déprimante. Je n'ai pas réussi à m'y faire. Dommage.
Et comme un ballet n'est rien sans ses interprètes, venons-en aux protagonistes de cette Première.
La star incontestée fût Mathias Heymann alias Zaël. Il est tout simplement époustouflant. Impossible de détacher ses yeux de lui. Il a d'ailleurs été chaleureusement applaudi.
Isabelle Ciaravola est convaincante dans le rôle de Nourreda. On voit vraiment l'évolution du personnage qui de passive et résignée à son destin va prendre sur elle de choisir d'aimer qui elle veut, quitte à rompre avec les traditions de son "clan".
Naïla ce soir était Ludmila Pagliero. Elle est très bien, je ne peux pas dire le contraire mais il me semble qu'il lui manque un peu de piquant et de légèreté pour le rôle. Naïla est une nymphe légère et un peu enfantine. Il manquait clairement quelque chose.
Djemil, Karl Paquette, n'a pas démérité mais ne m'a pas paru être dans sa meilleure forme.
Vincent Chaillet campe un Mozdock, frère de Nourreda, possessif et jaloux à souhait.
Le corps de ballet nous a montré un beau travail. Les ensembles des filles sont un peu meilleurs que ceux des garçons, plus peaufinés. La danse des odalisques notamment était très bien réglée. Toutes seraient à citer.
J'adorerais voir une autre distribution pour me rendre compte des différentes interprétation. En attendant,
la Source est un très beau ballet que j'irai revoir avec grand plaisir.
La preuve est faite que le classique est et sera toujours vivant. Merci à Jean-Guillaume Bart et ses collaborateurs de faire revivre ce Répertoire oublié.
La Source sera diffusée en direct du palais Garnier à Paris au
cines Girona de Barcelone le vendredi 4 novembre.
Elle est
à l'affiche de l'Opéra de Paris jusqu'au 12 novembre. Si vous avez le courage d'affronter le système de réservation des places de l'ODP..