Le Ballet du Marinsky de Saint Petersbourg est actuellement en tournée a Barcelone et se produit au célèbre Gran Teatre del Liceu.
La compagnie a emmené dans ses bagages sa production du
Corsaire.
J'étais un peu déçue, le
Corsaire n'étant pas mon ballet préfèré. Mais le Marinsky ne nous fait pas tous les jours l'honneur de sa visite et comme il est un peu compliqué de faire un aller-retour à Saint Petersbourg , je n'ai pas voulu faire la fine bouche et j'ai réservé 3 soirées.
La Première a eu lieu lundi soir avec
Viktoria Tereshkina en
Medora,
Danila Korstuntsev en
Conrad,
Vladimir Shklyarov en
Ali,
Anastassia Kolegova en
Gulnare et
Aleksei Timofeev en
Lankedem.
Avant de passer au compte rendu de la soirée, je souhaite parler un peu de ce ballet.
Le Corsaire a été crée en 1856 à l'Opéra de Paris sur une musique d'Adolphe Adam et une chorégraphie de Joseph Mazilier. Marius Petipa en a fait une adaptation pour le Ballet Impérial de Saint Petersbourg 2 ans plus tard. La version que nous verrons ce soir est une adaptation de la version de Petipa par Piotr Gusev, donnée pour la 1ere fois dans sa version définitive au Théâtre Kirov à l'époque (Marinsky donc) en 1987. Le livret original a été simplifié. Que nous réserve cette nouvelle mouture?
L'histoire est basée sur un poème de Lord Byron. Je n'ai jamais lu ce fameux poème de Byron. Chez les Byron, je retiens surtout la fille, Ada, sans laquelle je n'écrirais pas ce billet et vous ne me liriez pas puisque c'est elle qui a crée le language informatique. Je ne m'avancerai donc pas sur le poème qui a inspiré l'histoire du ballet mais je me pose quelques questions. S'inspirer c'est une chose. C'est bien. Encore faut-il avoir un peu de cohérence. Pour celles et ceux qui ont suivi l'actualité et on commenté sur la légèreté et les incohérences du livret de
la Source, et bien ce n'est rien à coté du
Corsaire. Je sais bien qu'à cette époque, l'exotisme était le point principal d'un ballet mais à ce stade, cela me laisse un peu perplexe. Sans parler de la misogynie de l'oeuvre. L'histoire du Corsaire n'est guère plus qu'une histoire avec des femmes que les hommes vendent, achètent, enlèvent, rachètent. Et plus cruche que Medora = pas possible. En gros, tout pour me faire fuir. Mais comme rien ne tient la route dans cette histoire et tout est bien qui fini bien: les amoureux sont réunis et les méchants roulés dans la farine et que tout est pretexte à danser variations, pas de deux, pas de trois, pas de tout ce que vous voulez, j'ai oublié l'histoire pour me plonger dans la danse.
Donc en bref, l'histoire est la suivante:
Prologue: Conrad avec Ali et ses comparses corsaires s'échouent sur une plage d'une île grecque.
1er acte:
Medora, belle jeune fille grecque (chacune son truc, il y en a qui qui crée l'informatique et d'autre qui sont belles et c'est tout) se promène avec ses amies et trouve Conrad et son équipage évanouis sur la plage.
Conrad voit Medora et tombe raide amoureux d'elle au premier regard. Mais la patrouille turque guette et fait Medora et ses amies prisonnières pour le bonheur de Lankedem, marchand d'esclaves.
Tout ce joli monde se retrouve sur la place du marché avec le Pacha du coin venu renouveler son
cheptel harem. Il achète Gulnare et Medora. Mais au moment d'embarquer cette dernière, un mystérieux acheteur fait monter les enchères. Il s'agit de Conrad (il a gagné au loto depuis son naufrage pour avoir une bourse aussi gonflée?) et voilà Medora, ses amies et Conrad qui échappent au Pacha pour les unes et à la garde turque pour l'autre tout en embarquant au passage l'argent de Lankedem.
2eme acte:
Rendez-vous sur une île grecque pour fèter l'arrivée de Conrad, Medora et leur équipe de joyeux corsaires. Ils arrivent en bateau. Mais quel bateau? Ils n'avaient pas fait naufrage? Ils ont eu le temps d'acheter un nouveau bateau avec toute l'armée turque à leur trousse? Ils ont fait escale aussi. Medora a fait du shopping fringue, elle a changé de tenue 3 fois. Lankedem est aussi de la partie mais en tant que prisonnier. Conrad, Medora et Ali nous offre le fameux pas de 3.
Après avoir bien dansé, les amies de Medora demandent à être ramenées chez elles mais les corsaires, à part Conrad, ne veulent pas les laisser partir. S'ensuit un conflit avec Conrad et Lankedem, témoin de la scène, va en tirer profit. Il se fait libérer par les hommes de Conrad et empoisonne un bouquet avec une potion soporifique qu'il offre a Medora. Bien sûr Medora accepte avec un grand sourire et en remerciant le bouquet offert par l'homme qui l'a enlevée et vendue. Bien sûr.
Elle offre le bouquet à Conrad. Celui-ci le respire comme s'il voulait se shooter dedans et tombe raide endormi. Lankedem en profite pour re-enlever Medora et l'amener chez le Pacha.
3eme acte: Medora retrouve Gulnare, la star du harem qui n'a qu'à bien se tenir: Medora va lui chiper sa place de favorite illico. Mais Gulnare n'est pas jalouse et les voilà meilleures amies du monde à danser ensemble dans un merveilleux jardin enchanté et rose bonbon.
Des pélerins arrivent chez le Pacha. Il s'agit en réalité de Conrad et ses copains venus chercher Medora. Le pacha se fait avoir comme...comme...je ne sais pas. Il n'y a pas de mot. Il faut le voir pour le croire tellement c'est stupide. Lankedem et le Pacha sont bien attrapés!
Epilogue: Conrad, Ali, Medora et Gulnare navigue sur les flots pour de nouvelles aventures. Aucune information ne nous ai données quant a l'origine du bateau qui les transporte (je vous rappelle que leur bateau s'est fracassé sur les rochers lors du prologue et qu'ils ont tout perdu).
Bon voyage! Et bon vent!
Revenons à la soirée de lundi et considérons la chose d'un point de vue balletesque.
Dès le prologue, on voit que le Marinsky n'a pas lésiné sur les moyens et on s'apprête à en avoir plein les yeux. Les effets spéciaux du prologue sont très bien faits. On croit vraiment voir la pluie tomber et le bateau commencer à sombrer. Les décors sont magnifiques, très convaincants. On imagine bien cette plage où Conrad vient s'échouer. Les costumes ausi sont sublimes. Tout est un plaisir des yeux. Mis à part un peu la scène du Jardin Enchanté, un peu trop rose bonbon à mon goût.
On en a vraiment plein la vue. Mais cette richesse des décors et costumes ne vient pas masquer une quelconque défaillance technique ou artistique. Les danseurs et danseuses, Etoiles, solistes ou corps de ballet sont tous et toutes d'un excellent niveau.
Dès le lever du rideau du 1er acte, on voit que la compagnie est au top de sa forme. Tout est géré au millimètre près, maîtrisé.
Le corps de ballet est excellent. Les ensembles sont parfaits, la technique maîtrisée, le style raffiné. Le vrai cachet Marinsky comme on l'attend.
Le pas de 3 des Odalisques est un pur moment de bonheur.
Svetlana Ivanova,
Iana Selina et
Anastassia Nikitina sont sublimes. Les danses de caractère, notamment au 2eme acte, sont extrêmenent bien réglées et interprétées. Les danseurs et danseuses nous projettent leur puissance, leur chaleur, leur énergie, leur force.
Le pas de deux d'
Anastassia Kolegova (Gulnare) et
Aleksei Timofeev (Lankedem) au 1er acte est grandiose. Anastassia a des jambes et des bras magnifiques. Sa variation est un petit bijou.
Aleksei n'est pas en reste et nous offre une prestation de 1er choix. Il a de très beaux sauts, beaucoup de force et d'énergie. Et il arrive à rendre son rôle crédible (lisez plus haut, c'était pourtant pas gagné).
La Pacha,
Vladimir Ponomarev, est un excellent acteur. Son rôle me fait un peu penser à celui de Gamache dans Don Quichotte. Ce n'est pas si facile de jouer l'idiot.
Quant au trio
Tersehkina-Korstuntsev-Shklyarov il fonctionne à merveille. Cela se voit et se sent tout au long du ballet et prend toute sa mesure lors du pas de 3.
Vladimir Shklyarov est impressionnant de technique. Il est presque aussi spectaculaire qu'Aaron Robinson (maintenant ma référence absolue en matière de variation du Corsaire). Il a une qualité de saut incroyable et ses tours, qu'ils soient en l'air, à la seconde, à tout ce que vous voulez, sont toujours parfaits.
Danila Korstuntsev est un Conrad sûr de lui, très amoureux de sa chère Medora et théâtral dans son jeu d'acteur.
Quant à
Viktoria Tereshkina, elle est une vraie Medora. Techniquement impecable, elle est une Medora douce et soumise. En Même temps, vu le livret, on l'imagine mal se mettre à nous faire une démonstration de kung-fu dont Lankedem et ses comparses esclavagistes en feraient les frais.
Elle est suberbe dans chacune de ses variations et j'aime beaucoup ses fouettés, très "classe" pas "bourrin" comme je trouve que sont la plupart des fouettés des danseuses russes. J'ai toujours l'impression qu'elles ne dansent pas mais tentent de remporter le 200m brasse aux JO. Viktoria Tereshkina échappe heureusement à cette règle.
Le ballet dans son ensemble est spectaculaire pour tout balletomanes qui se respecte. Il y a de nombreuses variations, laissant la chance aux danseurs et danseuses d'avoir un "petit" rôle. Tout est bien proportionné entre le rôle du corps de ballet, des solistes, des Etoiles. Il n'y a pas de temps mort. Il y a quelques scènes de pantomime mais pas trop longues, le Corsaire se raconte en dansant et on ne s'ennuit pas une seconde, une variation, un pas de deux chassant l'autre. Mais pour honnorer ce ballet techniquement difficile, il faut une compagnie de premier choix.
Ce soir de Première, le Ballet du Marinski a brillé de mille feux, faisant de lui, à mon sens l'une des 2 ou 3 meilleures, voire la meilleure compagnie du monde.
Par contre les saluts ont été un peu chaotiques. ca commence avec les musiciens et musiciennes de l'orchestre du Marinsky. Lorsque leur chef,
Aleksei Repnikov, est venu saluer sur scène et leur a rendu hommage, on a vu que la fosse était déjà à moitié vide et que la moitié restante était bien pressée de partir. Je n'aime pas ça. C'est peut-être saoûlant d'accompagner un ballet mais ça n'est pas une raison suffisante pour avoir ce genre de comportement à mon sens.
Ensuite, les danseurs ont commencé à s'avancer pour venir resaluer et le rideau s'est fermé sur eux et sur elles. J'ai cru un instant qu'ils allaient le recevoir sur la tête. Heuresement, on a finalement pu les appaludir comme il se devait. Même si je pensais que les applaudissements et les bravos seraient plus soutenus vu le niveau de ce que nous avions vu.